MESURE D’OXYGÈNE

APPLICATION DE FLOTTEURS ARGO OXYGÈNE À L’OBSERVATION DIRECTE DE LA CONVECTION PROFONDE À 1000 MÈTRES EN MER D’IRMINGER

par Anne Piron (1), Herlé Mercier (2), Virginie Thierry (3) et Guy Caniaux (4)
(1) Ifremer, Laboratoire de Physique des Océans, Plouzané, France
(2) CNRS, Laboratoire de Physique des Océans, Plouzané, France
(3) Ifremer, Laboratoire de Physique des Océans, Plouzané, France
(4) Météo-France, Centre National de Recherches Météorologiques (CNRM-GAME), Toulouse, France

 

CONTEXTE

Secteur clé de la circulation thermohaline et du  » tapis roulant  » océanique qui régule le climat, l’Atlantique Nord est connu comme étant un haut lieu de transformation des eaux de surface en eaux profondes. Les eaux subtropicales chaudes et salées, remontées par le Gulf Stream depuis la mer des Caraïbes, sont en effet brusquement refroidies lorsqu’elles arrivent en mer de Norvège, jusqu’à plonger vers les profondeurs par convection hivernale.

Figure 1 : Représentation schématique du « tapis roulant » océanique © IPCC

 

Ce processus de mélange vertical, induit par une couche de mélange hivernale profonde, conduit à la formation d’eaux dites  » modales « , remarquables par leur forte homogénéité verticale et leur grande étendue horizontale. En Atlantique Nord, il existe différentes variétés d’eaux modales subpolaires (SPMW). La plus dense d’entre elles se situe dans le bassin Ouest. Formée par convection hivernale en mer du Labrador, elle est communément appelée  » Eau de Mer du Labrador  » ou  » Labrador Sea Water  » (LSW).

Mais de récentes études ont suggéré que la formation de LSW pourrait avoir lieu plus en amont, en mer d’Irminger. C’est ce que semble confirmer cette récente étude de Piron et al. qui, à partir des données de flotteurs ARGO, met en évidence un phénomène de convection profonde durant l’hiver 2011-2012 suffisamment important pour nourrir la LSW présente en mer d’Irminger.

 

DONNÉES & MÉTHODE

170 profils verticaux de température/salinité appartenant à 26 flotteurs ARGO dérivant en mer d’Irminger entre le 19 janvier et le 11 avril 2012 sont exploités. La profondeur de la couche de mélange est déterminée par les méthodes de de Boyer Montégut et al., 2004 et Thomson and Fine, 2003. Sur la période 2002-2010, des études (Bacon et al., 2003 ; Pickart et al., 2003 ; Våge et al., 2009) ont montré que les couches de mélange les plus profondes observées en mer d’Irminger n’ont jamais dépassé 600m, excepté pendant les hivers 2007/2008 et 2008/20009 où quelques profondeurs avaient été relevées localement à 1000m (de Jong et al., 2012).

Parmi ces 26 flotteurs, un flotteur de type PROVOR CTS3-DO9, fabriqué par NKE et déployé par Ifremer dans le cadre du projet OVIDE (PI : V.Thierry), a effectué 10 profils sur la zone et pour la période considérée. Ce flotteur permet de mesurer à la fois les paramètres physiques pression/température/salinité et l’oxygène, grâce au capteur d’oxygène de type Aanderra qu’il embarque. Ses données en oxygène sont donc exploitées pour estimer la présence ou non d’un mélange vertical actif, en suivant l’évolution du pourcentage de saturation en oxygène des eaux sur la verticale en fonction du temps,  le long de la trajectoire du flotteur.

Une approche lagrangienne permet enfin d’établir un bilan de chaleur le long des trajectoires des flotteurs ARGO, pour évaluer l’influence des flux à l’interface air-mer sur le contenu thermique et sur l’approfondissement de la couche de mélange.

 

RÉSULTATS

Un approfondissement remarquable de la couche de mélange, lié aux forçages atmosphériques

De mi-janvier à mi-avril 2012, 41 profils Argo appartenant à 15 flotteurs Argo différents montrent une profondeur de couche de mélange supérieure à 680 mètres en mer d’Irminger, sur une large zone à l’est du Groënland. Parmi ces 41 profils Argo, 4 profils appartenant à 4 flotteurs différents (3 Apex et le Provor-DO) montrent une profondeur de couche de mélange atteignant 1000m, ce qui est suffisamment profond pour renouveler la LSW déjà présente en mer d’Irminger. La figure ci-dessous montre les trajectoires de ces 4 flotteurs, la trajectoire du flotteur PROVOR-DO mesurant l’oxygène est indiquée en jaune.

Figure 2 : Trajectoires des 4 flotteurs ARGO dont un profil vertical a été relevé avec une mld à 1000m (PROVOR-DO en jaune) © A.Piron – LPO Ifremer 2014

L’étude plus précise du déplacement de ces 4 flotteurs et de l’estimation de la profondeur de la couche à partir des profils montre que l’évènement convectif s’installe en 3 temps : une période longue de pré-convection du 19/01/2012 au 9/03/2012 ; une période courte de convection profonde du 10 au 25/03/2012, et une période de restratification en quelques jours après le 25/03/2012. Le bilan de chaleur établi le long des trajectoires de ces 4 flotteurs confirme une bonne adéquation entre les pertes de chaleur à l’interface air/mer et les variations de quantité de chaleur dans la couche de mélange, et la perte de chaleur observée entre mi-février et mi-mars explique un approfondissement tardif de la couche de mélange à 1000m.

Figure 3 : Evolution de la profondeur de la couche de mélange le long de la trajectoire des 4 flotteurs ARGO (PROVOR-DO en jaune) © A.Piron – LPO Ifremer 2014

 

 

 

Un mélange vertical actif révélé par les mesures en oxygène

Les mesures d’oxygène recueillies par le PROVOR-DO mesurent le taux de saturation en oxygène des eaux sur la verticale. Elles confirment l’installation d’une convection hivernale profonde, jusqu’à 1000 mètres de profondeur, suivie du processus de restratification marquée par l’apparition d’une pycnocline saisonnière.

Figure 4 : Pourcentage de saturation en oxygène en fonction de la profondeur le long de la trajectoire du PROVOR-DO. © A.Piron – LPO Ifremer 2014

 

 

RÉFÉRENCES

2014
Piron Anne, H. Mercier, V. Thierry, G. Caniaux :  » Direct observation of 1000m deep convection in the Irminger Sea by ARGO-O2 floats during winter 2011-2012 « . European Geosciences Union EGU Vienne, 2014.
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2012
M. Femke de Jong, , Hendrik M. Van Aken, Kjetil Våge, Robert S. Pickart :  » Convective mixing in the central Irminger Sea: 2002-2010 « , Deep-Sea Research I

2009
Våge, K., Pickart, R.S., Thierry, V., Reverdin, G., Lee, C.M., Petrie, B., Agnew, T.A., Wong, A., Ribergaard, M.H., 2009.  » Surprising return of deep convection to the subpolar North Atlantic Ocean in winter 2007-2008 « , Nat. Geosci., 382. doi:10.1038.

2004
de Boyer Montégut, C., G. Madec, A. S. Fischer, A. Lazar, and D. Iudicone, Mixed layer depth over the global ocean: an examination of profile data and a profile-based climatology, J. Geophys. Res., 109, C12003. doi:10.1029/2004JC002378

2003
Bacon, S., Gould, W.J., Jia, Y.L., 2003 :  » Open-ocean convection in the Irminger Sea « , Geophys. Res. Lett. 30, 1246. doi:10.1029/2002GL016271.

Thomson, R. E., and I. V. Fine : Estimating mixed layer depth from oceanic profile data, J. Atmos. Oceanic Technol., 20(2), 319-329.

 

LIENS PRODUITS

>> PROVOR CTS4
>> PROVOR CTS3 DO/DO I